” Tu es le meilleur d’entre nous, mais sans toi, nous sommes tous meilleurs”. Cette phrase, Fabien Galthié l’avait peut-être en tête au moment où Matthieu Jalibert lui a signifié son souhait de repartir à Bordeaux, mécontent de n’être que réserviste pour le match phare de la tournée d’automne du XV de France face aux All Blacks. Une sentence prononcée en 1958 par Lucien Mias à l’endroit d’Amédée Domenech, pilier aussi talentueux que fantasque, star de son époque, si tant est qu’il y eût vraiment des stars dans le rugby d’alors.
Incapable de se plier à la discipline collective et peu soucieux d’accepter la tactique mise en place par “Docteur Rugby”, tactique qui contribuerait hautement à l’exploit de l’équipe du coq en terres sud-africaines, Amédée Domenech fut donc prié de rentrer à Brive et ne revêtit à nouveau la tunique bleue qu’en 1960, deux années après cette éviction.
A l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas, ou se dénommaient “Balto” ou “Civette” et les remous provoqués par cette décision étaient restés cantonnés aux immédiats abord des zincs et des main-courantes des stades. Certes, quelques journaux, dont le Midi Olympique ou l’Équipe, purent se faire l’écho des positions “pro” et des “anti” Domenech, mais rien d’équivalent à ce qui prévaut aujourd’hui, quand la moindre décision managériale prend des proportions d’onde de choc.
En faisant le choix de placer Thomas Ramos au poste de demi d’ouverture pour le match face au Japon, puis de le reconduire contre la Nouvelle-Zélande, le staff du XV de France a clairement fait sentir à Matthieu Jalibert que ses performances avec l’UBB ne le rendait pas nécessairement incontournable sous le maillot bleu. De quoi, on s’en doute, provoquer le mécontentement de ses admirateurs et l’ire des supporters bordelo-béglais, prompts à suggérer à Fabien Galthié de s’acheter de nouvelles lunettes, la capitale de Nouvelle-Aquitaine disposant à cet égard d’excellents opticiens.
Mais plutôt que d’alimenter les fantasmes d’un complot toulousain contre l’ouvreur bordelais ou de réduire le sujet à la question de la psychologie du sélectionneur en en faisant une espèce de docteur Mabuse de la chose ovale, il conviendrait de s’attacher à certains faits et s’interroger : les performances tricolores de Matthieu Jalibert l’ont-elles rendu incontournable ? Pas vraiment. Ses prestations récentes avec l’UBB suffisent-elles à justifier une titularisation au sein du XV de France ? Peut-être, à condition d’estimer que le niveau du jeu est le même et que l’approche tactique et la dynamique collective de l’équipe nationale ne se différencient pas de celles que Jalibert connaît et auxquelles il contribue en club. Ce qui, reconnaissons-le, ne va pas de soi. Enfin, dès lors qu’un banc en “6-2” était constitué pour la rencontre face aux All Blacks, ne laissant pas nécessairement de place à un ouvreur parmi les remplaçants, fallait-il envers et contre tout coucher son nom sur la feuille de match pour préserver son envie de jouer avec le XV de France ?
Car les quelques informations qui ont pu sortir de Marcoussis semblent indiquer que Matthieu Jalibert, très tôt mis au courant des choix du sélectionneur, a traduit sa déception dans son comportement à l’entraînement, manifestant peu d’enthousiasme à participer au collectif. Chacun jugera de cette attitude, tout comme son choix de repartir à Bordeaux plutôt que de se préparer à pallier un éventuel forfait de dernière minute.
Au final, s’il est toujours pénible de se priver d’un talent comme celui de Matthieu Jalibert, force est de constater qu’il n’est pas le premier joueur, et sûrement pas le dernier, à être sacrifié sur l’autel du collectif et des préférences tactiques des sélectionneurs. Qu’on conteste celles-ci apparaît tout à fait normal, d’autant que la manière de jouer des Bleus est loin d’être satisfaisante. Qu’on porte la controverse sur un autre terrain relève de la discussion de comptoir.
Il faut espérer que Matthieu Jalibert, qui n’a que 26 ans, se nourrira de sa déception pour progresser encore et gagner en maturité dans sa gestion du jeu et son approche collective du rugby, et qu’il reviendra encore meilleur sous le maillot bleu.
Comme Amédée Domenech.