Les passions tristes

La France a peur.

Enfin, celle du rugby, après la nouvelle déconvenue du XV de France face à l’équipe d’Italie, et un match nul à valeur de défaite. Cette équipe qui tutoyait les sommets depuis quatre ans semble revenue aux heures les plus sombres de son histoire, qui voyaient les coqs de Philippe Saint-André, Guy Novès et Jacques Brunel enfiler les défaites comme des perles.

C’est le sentiment qui domine le Landerneau ovale, à en croire le ban(c) et l’arrière-ban(c) des entraîneurs salonnards, des plumitifs en mal de clics, des anciens sélectionneurs en recherche de reconnaissance posthume et de tous ceux, visiblement nombreux, qui préfèrent régler des comptes avec Fabien Galthié plutôt que de s’intéresser au fond des problèmes.

Car problèmes il y a, très clairement : même remaniée par rapport à leur dernière confrontation (Jelonch, Aldritt, Flament et Bielle-Biarrey ne figuraient pas sur la feuille de match lilloise), comment une équipe de France peut-elle à quatre mois d’intervalle, passer 60 points à la squadra azzurra puis s’en tenir à 13 petites unités, offrir des séquences offensives enthousiasmantes en octobre puis, en février, s’accrocher à son score comme un naufragé à sa bouée de sauvetage ?

N’étant pas dans le secret des Bleus, on ne prétendra pas ici avoir de réponse. En revanche, les pistes de réflexion existent. Elles nécessitent en revanche qu’on ne s’arrête pas à l’écume d’un débat qui s’en tient paresseusement à la communication, certes critiquables à maints égards, du sélectionneur. Et elles requièrent qu’on accepte qu’il puisse exister des responsabilités individuelles et pas seulement une faillite collective dont Fabien Galthié serait l’unique facteur.

Assez logiquement, la première de ces pistes est d’ordre psychologique. L’échec de la Coupe du monde paraît avoir vidé les Bleus de toute confiance et transformée les certitudes bâties durant quatre années en doutes profonds. « Les Irlandais aussi et pourtant ils sont passés à autre chose » lit-on ici ou là. La faute en reviendrait en particulier à Fabien Galthié, pour n’avoir pas affronté cet échec avec ses troupes et, plus encore, en direction des médias. Cette explication contentera ceux qui estiment que la psyché des joueurs tricolores n’obéit qu’aux injonctions du sélectionneur et que les internationaux seraient dépourvus de toute capacité d’introspection ou de failles psychologiques, voire qui feignent d’ignorer combien l’approche mentale des événements sportifs diffère entre Latins et Anglo-saxons : qu’on se souvienne de l’étonnement manifesté, au début de l’ère professionnelle, par les joueurs Anglais ou Irlandais débarquant dans les vestiaires français et assistant au spectacle de la « préparation mentale » d’avant-match ou constatant combien la notion de match à l’extérieur influait sur le rendement des équipes…

Une deuxième piste concerne les modifications apportées à la composition du staff. Le changement d’entraîneur de l’attaque et de celui en charge de la conquête a nécessairement eu des répercussions. N’oublions pas que le vécu commun du groupe des internationaux avec ces coaches est très faible et qu’il faut du temps à installer des schémas offensifs. S’agissant de la conquête, la mêlée s’est révélée plutôt solide et la touche est allée en s’améliorant depuis le début du Tournoi. Mais il reste encore une grosse marge de progression.

Au rang des facteurs d’explication possibles figure également la condition physique de joueurs qui semblent manquer de jus et éprouver les plus grandes difficultés à répondre à l’intensité mise dans le jeu par leurs adversaires. Un grand nombre des internationaux alignés depuis le début du Tournoi ont débuté leur saison en juillet 2023 avec une préparation intense en vue de la Coupe du monde et qui n’ont, sauf exception, pas vraiment coupé avec le rugby. Et cela se voit depuis trois matchs en Bleu.

Se pose évidemment la question des absences, qui obligent le sélectionneur à composer des équipes comportant à certains postes des remplaçants de remplaçants. Et si cette situation peut réserver de bonnes surprises, comme l’émergence rapide de Posolo Tuilagi, elle n’en est pas moins préoccupante en termes de performances. N’en déplaise aux supporters des uns ou des autres, il est des joueurs qui comptent plus que d’autres dans les performances de l’équipe.

Ce qui amène au sujet des contre-performances individuelles. Sous le feu des critiques, Maxime Lucu et Matthieu Jalibert, leaders de jeu incontestables avec l’UBB, ne le sont pas en équipe de France. Dimanche, face à l’Italie, le numéro neuf bordelais a failli sur l’animation du jeu. A la différence des deux premières rencontres, durant lesquelles son pack a été mis en difficulté, il est faux de prétendre qu’il n’a pas eu de ballons propres à négocier. Plus ennuyeux, il n’a pas su insister dans un jeu direct avec des percussions de ses avants alors que les premières minutes de la partie avaient clairement démontré que c’était la tactique idoine pour scorer et enfoncer un adversaire vulnérable défensivement sur ce type de séquences. Matthieu Jalibert n’a pas été plus en réussite et sa responsabilité dans l’inconsistance offensive tricolore est nécessairement engagée, à l’image de son improbable coup de pied en situation de surnombre à dix mètres de la ligne d’en-but adverse. Le cas des trois-quarts centres est tout aussi problématique : ce n’est certes pas le staff qui a conduit Jonathan Danty à plaquer dangereusement son vis-à-vis pour laisser ses partenaires à 14 durant plus d’une mi-temps, pas plus que ce n’est la décision de Fabien Galthié d’empêcher Gaël Fickou de croiser sa course pour embarquer un défenseur sur une des rares contre-attaques françaises, qui aurait dû se terminer par un essai.

La confiance placée par Fabien Galthié dans les joueurs qui ont débuté avec lui son premier mandat repose sur la conviction qu’un groupe – et tout particulièrement celui d’une sélection nationale – ne peut grandir que si on lui laisse le temps de s’aguerrir et de trouver ses repères collectifs, y compris lorsque certains de ses membres peuvent connaître des baisses de régime. Ce refus d’une politique systématique de « l’homme en forme » trouve ses limites lorsque, comme cela semble être le cas pour quelques-uns, la concurrence de la jeune génération se fait pressente et que des interrogations se font jours sur la persistance des contre-performances des titulaires de certains postes. Il est faux de prétendre que le sélectionneur serait un conservateur recroquevillé sur on ne sait quelles certitudes : l’émergence soudaine d’un Louis Bielle-Biarrey ou d’un Posolo Tuilagi sont la preuve du contraire. Peut-être attendait-il la tournée estivale pour injecter du sang neuf et entamer une revue d’effectif plus ambitieuse. La situation actuelle pourrait le conduire à anticiper un renouvellement générationnel que la qualité des jeunes candidats à l’équipe de France justifie pleinement. Quant à faire le grand ménage que certains appellent de leurs vœux, ce serait un véritable retour en arrière, du temps où un match pouvait coûter sa place au meilleur des internationaux, sans garantie de meilleure fortune.

Le XV de France affronte aujourd’hui des vents contraires, et son sélectionneur attise, sciemment ou non, les rancœurs. L’avenir dira si, derrière son discours pour le moins décalé, Fabien Galthié a pris toute la mesure des difficultés auxquelles son groupe et lui-même sont confrontés. Et si la France du rugby a raison d’avoir peur ou si elle s’est, une fois encore, laissée allé à son inclination habituelle pour les passions tristes.

1 comments

    • Jean M on 28 February 2024 at 23h09
    • Reply

    Et soudain il faut se positionner vis à vis de Galthié… J’ai l’impression de lire ça partout ! Certes le mec fait tout pour attirer l’attention à sa façon, c’est au mieux drôle, au pire agaçant, mais jamais bien important je trouve, même si ces derniers temps il a un peu l’air hagard et semble plus facilement passer les portes ! Je m’égare mais quand même, le mec a pas un parcours de coach super serin et ce personnage philosophique à lunettes qu’il s’est inventé depuis qu’il est sélectionneur du XV est-il de circonstance ? Le jeu flamboyant des bleus ne s’est pas éteint au quart de finale de la CDM. Les victoires après le grand chelem 22 ont été parfois moins larges et on a eu chaud à bien des reprises même… Et puis des joueurs ont commencé à se péter… Et puis après la CDM Ibanez qui disparaît, Dupont qui préfère aller au 7, et puis la majeure partie du staff du XV qui avait pas prévu de rester de toute façon est partie… Un parcours bien terne pour un objectif initial historique affirmé à la maison. Oui je sais, ça fait beaucoup de suppositions pas fondées, mais on sent de la fatigue, de la lassitude, un peu de déni aussi chez ces hommes…

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