Le deuil et l’espoir

Mercredi dernier, dans une salle du Stade Charléty, Fabien Galthié a donné une conférence de presse pour évoquer le parcours du XV de France en Coupe du monde, parcours qui s’est terminé, comme chacun le sait, en queue de poisson.

Apparu les traits tirés, ses lunettes noires accentuant l’impression d’abattement peinte sur son visage, le sélectionneur a assuré une forme de service minimum, lui qui ne souhaitait pas s’exprimer trop vite après l’échec tricolore face aux Springboks. La pression médiatique ayant imposé son calendrier, lasse d’attendre que l’écume des jours tristes ne retombe, il lui a bien fallu s’exécuter.

Sans surprise, la prestation de Fabien Galthié a déçu les médias. Et avec eux un certain nombre d’inspecteurs des travaux finis, désireux de trouver en Galthié un coupable plus présentable que Ben O’Keefe à l’aune des sacro-saintes valeurs du rugby.

Incontestablement, le sélectionneur n’aura pas accompli l’acte de contrition attendu. Droit dans ses bottes, il a défendu un bilan qu’il n’a pas voulu réduire à la seule défaite en quart-de-finale, refusant d’en faire, à l’instar de certaines Cassandre de talanquère et autres escrocs de comptoir, l’aboutissement logique du premier cycle quadriennal de son mandat.

C’est d’abord de deuil que Fabien Galthié a parlé. Le mot est fort, trop peut-être, mais il dit beaucoup de la charge psychologique énorme endurée depuis quatre ans et de l’investissement considérable que lui et ceux qui l’ont accompagné ont dû consentir pour tenter de mener à bien leur entreprise.

L’homme n’est pas du genre à renier ses principes, au point d’affirmer qu’il ne s’est pas trompé dans ses choix, invoquant les « data » comme, disent les critiques, un mantra. Il est vrai que la formule consistant à dire que, selon ces data, les Bleus auraient dû inscrire 37 points, ne le réconciliera pas avec les techniciens plus enclins à s’en tenir au traditionnel tableau noir. Mais le sélectionneur a développé son point de vue : en se créant près d’une douzaine de situations de marque, ce qui n’est pas rien dans un match de ce genre, le XV de France n’a pas vraiment pêché sur le plan tactique. On peut contester l’argument, mais le réduire à une formulation relève, au mieux, de l’incompréhension.

Évidemment, il y a toujours matière à s’interroger sur quelques choix de sélection, sur l’approche psychologique qui a semblé défaillante ou sur le fait qu’une tactique défensive sur les ballons hauts adverses ait fonctionné face aux All Blacks lors du premier match et pas contre les Sud-africains. Au passage, il est un peu contradictoire de fustiger le discours “techno” de Fabien Galthié sur ces data au nom desquelles il aurait sacrifié l’humain et de ne pas reconnaître que des erreurs bien humaines ont fait pencher la balance côté Springboks : une prise de ballon haut ratée par Cameron Woki, une passe sautée contre-productive tentée par Damian Penaud, une passe oubliée de Gaël Fickou vers Louis Bielle-Biarrey…

Les plus curieux jetteront un œil sur l’interview accordée par Fabien Galthié au journal l’Equipe, dans laquelle il développe les thèmes tout juste effleurés au micro, expliquant ses choix, défendant ses convictions et, surtout, martelant que ses 80% de victoires et l’éclosion de talents multiples sont des fondations robustes pour bâtir des projets autrement plus solides que les châteaux en Espagne de ses prédécesseurs. À condition de persévérer, évidemment.

La note d’espoir, derrière le deuil d’une Coupe du monde ratée, heurtera sans doute tous ceux qui soutiennent qu’une défaite d’un point ne peut qu’être la conséquence d’une suite de mauvais choix, et qui, fiers Sicambres, se hâtent de brûler ce qu’ils ont adorés. Reste les autres, qui ont retrouvé le sourire pendant quatre ans et espèrent, sans doute naïvement, de beaux lendemain, malgré tout.

World in désunion

“It’s the world in union
The world as one
As we climb to reach our destiny
A new age has begun.”

Ces quelques vers, dont le pompeux le dispute à la pauvreté des rimes, sont issus de “World in union”, l’hymne officiel de la Coupe du monde de rugby. Une chanson à la gloire de World Rugby, peignant un tableau idyllique de la compétition et, au-delà, d’un sport qui rassemblerait pratiquants et passionnés autour d’un même amour désintéressé de la chose ovale.

Il faut pourtant une sacrée dose de naïveté pour boire les paroles de cette ritournelle sans éprouver un arrière-goût d’ironie voire de cynisme. Car les décisions prises récemment par l’instance internationale, qualifiées d’historiques par ses dirigeants, apparaissent, malgré les apparences, bien éloignées de la vision égalitariste défendue dans la chanson.

Les apparences ? Une coupe du monde élargie à 24 participants dès la prochaine édition. Sur le papier, cette mesure est une bonne nouvelle pour les “petites nations”, qui pourront participer davantage à la grande fête quadriennale du rugby, actuellement réservées à 20 équipes nationales, dont les deux bons tiers sont toujours les mêmes : les équipes du Rugby Championship, celles du Tournois des six nations, les îles du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga) et le Japon. Dorénavant, les nations émergentes pourront se mêler à celles plus aguerries du Tier 2, comme la Roumanie ou la Géorgie, pour décrocher les quelques billets supplémentaires offerts par World rugby.

Pour autant, cet élargissement risque bien d’amplifier l’impression fâcheuse ressentie tous les quatre ans, d’un fossé irrémédiable entre les meilleures nations et les autres, ravalées au rang de faire-valoir le temps des phases de poule.

Et ce n’est pas la création de la “Coupe des nations” qui favorisera la moindre évolution sur ce plan.

Cette nouvelle compétition, intercalée entre deux coupes du monde, ne se distingue finalement de celles-ci que sur deux points :

  • elle se dispute en deux vagues d’un gros mois et demi, en lieu et place des tournées estivales et d’automne,
  • elle met au prise les meilleures nations mondiales, auxquelles s’ajoutent les Fidji et le Japon. Les autres équipes nationales, essentiellement du Tier 2, constitueront une “deuxième division” séparée.

Bill Beaumont, le président de World rugby, a beau avoir déclaré qu’un système de relégations et de promotions entre les deux divisions serait mis en place (mais pas avant 2030…), on voit bien l’étanchéité de ce dispositif, les petites nations restant condamnées à jouer entre elles, sans réelles perspectives de rencontrer des équipes plus fortes, condition sine qua non à leur progrès. Avec cette nouvelle compétition, les fenêtres internationales seront en outre trop encombrées pour autoriser l’organisation de matchs supplémentaires.

On devine facilement ce qui a motivé ce choix. Les grandes fédérations, particulièrement celles de l’hémisphère sud, sont financièrement aux abois. La Coupe des nations est une garantie pour elles de faire rentrer de l’argent dans leur tiroir-caisse. Quant à World rugby, le temps du sacro-saint amateurisme est complètement révolu. Désormais, l’ovalie s’y analyse en termes de retour sur investissement ou de compte de résultat prévisionnel.

Et le développement du rugby dans tout cela ? Il est certainement abusif d’affirmer que World rugby ne s’en préoccupe pas. On se bornera à reprendre l’objectif que l’instance internationale se fixait au titre de son programme de “haute performance masculine 2016-2020” : avoir deux nations du Tier 2 qualifiées pour les quart-de-finales de la coupe du monde 2023…

Les représentants de ces nations n’ont pas manqué de réagir à la création de cette nouvelle compétition élitiste, et ont fustigé l’entre-soi des pays dominants. Ces critiques sont la marque non pas d’un “World in union”, mais bien de la désunion qui règne entre ceux qui désespèrent de voir le rugby devenir un sport universel et ceux, moins nombreux mais bien plus puissants, qui s’accommodent très bien de leur petit pré-carré.

Rideau (de fer) sur la Coupe du monde

Samedi s’est conclue la seconde coupe du monde de rugby organisée sur le sol français. Et comme pour sa devancière, l’équipe de France et ses supporters ont regardé, de loin, un capitaine Sud-africain brandir la timbale dorée.

En 2007, les espoirs tricolores de trophée s’étaient brisés sur un XV de la Rose qui n’avait plus tout à fait le même éclat que trois années auparavant, lorsqu’il fut titré, mais toujours suffisamment d’épines pour empêcher les hommes de Bernard Laporte d’accéder à la finale contre les Springboks.

Seize ans plus tard, sans Bernard Laporte, écarté de la FFR après avoir ravi l’organisation de la compétition à l’Afrique du Sud, les Français ont bien joué contre les gros hommes verts, mais toujours pas en finale, malheureusement. Leur parcours s’est arrêté en quarts, pour un petit point, soit quatre de moins que ceux laissés en route par Thomas Ramos, dont deux qui continueront longtemps de faire parler, à moins que Cheslin Kolbe ne mette tout le monde d’accord en remportant la médaille d’or de l’épreuve du cent mètres aux prochains jeux olympiques.

Pour les Bleus, le constat est naturellement celui d’un échec. On ne peut pas parler d’autre chose quand on vise le titre et qu’on quitte la compétition de manière prématurée, fût-ce contre les futurs champions du monde. Mais parler de naufrage ou de désastre, comme on a pu le lire dans la presse ou sur les réseaux sociaux, relève au mieux de la mauvaise foi, au pire d’une espèce de jouissance sadique qui n’aurait pas déplu au divin Marquis.

S’il aura manqué au XV de France un certain nombre d’ingrédients pour que la mayonnaise ne tourne pas à l’aigre, on pourra toujours estimer que sa stratégie de dépossession, tellement critiquée ces derniers mois, n’était pas si mal vue, au regard du résultat final d’une coupe du monde remportée par une équipe qui a passé plus de temps à refuser le jeu qu’à en produire, et s’est complu à priver ses adversaires de munitions tout en utilisant l’essentiel des siennes à taper (fort bien, au demeurant) dans le camp d’en face.

Pour trouver du jeu, il a surtout fallu regarder ces équipes dites du “tier 2”, voire du “tier 3” (magnifique Portugal !), conviées tous les quatre ans à occuper le temps pendant le premier mois de la compétition, avant que les choses sérieuses ne débutent et que les nations du haut du panier ne se disputent la coupe Webb-Ellis.

S’il faut reconnaître que l’intensité n’a pas manqué à l’occasion des matchs à élimination directe ou lors des affrontements entre favoris lors des phases de poule, cette intensité ne s’est pas, loin s’en faut accompagnée d’une orgie de jeu. Le rentre-dedans a prévalu sur l’évitement, le jeu au pied sur celui à la main et le ralentissement des rucks, érigé au rang d’art par les Irlandais ou les Sud-africains, mais pratiqué systématiquement par toutes les équipes, a sonné le glas des velléités d’attaques. Quant aux statistiques d’essais inscrits, elles sont, comme souvent, à prendre avec des pincettes : ainsi 18 des 30 essais inscrits par les Springboks l’ont été face à la Roumanie et aux Tonga.

On rétorquera que c’est souvent le cas lors des coupes du monde, qui voient souvent un jeu restrictif l’emporter sur toute autre forme de rugby. C’est certainement vrai, même si le souvenir des deux dernières éditions reste celui d’un jeu un poil plus enlevé. Il est en revanche assez gênant de constater que le discours dont World rugby nous a rebattu les oreilles pendant plusieurs mois en faveur d’un rugby d’attaque, discours accompagné de nouvelles règles (50-22) et de directives aux arbitres, a rapidement fait pschitt durant cette édition.

Le rideau est donc tombé sur la scène ovale mondiale. Mais pas celui qu’on imaginait, chamarré, du théâtre de nos rêves de jeu débridé.

Plutôt celui de fer, planté au ras de chaque regroupement et devant la ligne d’en-but des nations majeures de ce sport.

Le beau jeu, une schizophrénie française

Pas sûr qu’en inventant le concept de “french flair” au début des années 60, le journaliste britannique Pat Marshall ait rendu service au rugby français. A moins, peut-être, que ce ne fût une de ces malices dont nos amis d’outre-Manche ont le secret, visant à instiller durablement le poison ultime de l’échec dans le sang bleu.

Car, voyez-vous, cette étiquette est encore aujourd’hui pire que le sparadrap du capitaine Haddock. C’est une boite entière qui colle au maillot d’Antoine Dupont et consorts.

Que n’a-t-on lu sur l’échec du XV de France en coupe du monde : préparation manquée, approche tactique ratée, choix discutables de certains sélectionnés… Il y a certainement du vrai dans tout cela. Mais on également pu lire un argument aussi imparable qu’attendu : ces Bleus ont proposé un jeu réducteur, trop loin de ce qu’on était en doit d’attendre d’eux. Le refrain habituel sur l’incapacité tricolore à proposer la fameuse balle-à-l-aile-la-vie-est-belle remixée à la sauce double croisée-passe-dans-le-dos-du-leurre-en-première-main.

Et qu’importe si nous avons eu droit à des fulgurances, et pas seulement face aux Italiens ou aux pauvres Namibien, qu’importe si, à l’inverse, contre les All Blacks ou les Springboks les combinaisons dans le petit périmètre ont porté le danger jusque dans l’en-but adverse. Trop de dépossession pour être honnête, le Fabien !

Le regretté Jacques Fouroux, dont la verve n’avait d’égal que le sens tactique, avait une fois rétorqué à une remarque sur le jeu de son équipe, quelque chose du style “jouer bien, c’est quand on gagne”. Cet adage, les Springboks l’ont fait leur depuis qu’ils ont trouvé plaisant ce jeu inventé par la fine fleur de l’aristocratie britannique pour imiter la guerre sans faire de mort (enfin pas systématiquement). Il ne se trouvera pas un observateur pour prétendre que les Sud-africains ont remporté leur quarts et leur demies en faisant chanter le cuir. A cet égard, on remarquera (un peu schématiquement, je le reconnais) que les velléités d’aller voir se qui se passe au-delà de la zone zéro des hommes en vert foncé se sont arrêtées à la fin du match perdu face aux verts clairs irlandais. Et que le pauvre Manie Libbock, digne représentant d’un rugby aéré, a été remisé au placard des intentions de grand large à la demi-heure de jeu de la rencontre face aux Anglais. Ces mêmes Anglais qui se contentèrent globalement d’une forme de non-jeu presque payant, ce qu’on peut comprendre quand on voit ce qu’on donné leurs tentatives d’en proposer lors des matchs précédents.

Entendons-nous bien. A l’heure où certains parlent des méfaits de la mêlée dans le rugby contemporain, il est bon de rappeler que le rugby est avant tout un sport de combat collectif, une dimension qui, contrairement à ce que les thuriféraires de Pat Marshall soutienne encore aujourd’hui, a toujours eu de l’importance dans le jeu français. Sans remonter à 1515 et à la “furia francese”, force est de constater que les Bleus doivent d’abord leur réputation à l’extrême rugosité de leurs avants. A tel point que celle-ci fut l’une des causes de leur éviction du Tournoi en 1931. Pour dire les choses autrement, le French flair est la jolie fleur qui ne s’épanouit qu’après le travail en férocité des avants tricolores.

A bien regarder les matchs des bleus, y compris les leçons infligées aux Anglais à Twickenham en début d’année ou eux Italiens lors de cette coupe du monde, on s’aperçoit que cet ADN est toujours bien là. Et si les hommes de Fabien Galthié ont perdu leur quart-de-finale, ce n’est certainement pas d’avoir insuffisamment joué selon le fantasme d’un French flair sorti de l’esprit malin d’un chroniqueur de sa Très gracieuse majesté.

On ne le répétera jamais assez : n’enfermons pas le XV de France dans ce stéréotype schizophrène. Peut-être, alors, pourrons-nous lucidement identifier ce qui l’empêche de conquérir le Graal d’un titre mondial qui s’offrira, samedi, à l’équipe la plus robuste bien plus sûrement qu’à la plus étincelante.

Renvoi aux 22, le retour !

Il y a un peu plus de 18 mois, le site “Renvoi aux 22” fermait ses portes. Créé quelques semaines avant la Coupe du monde 2007 chez un hébergeur de blog, puis devenu un site à part entière quelques années plus tard, Renvoi aux 22 m’a permis de partager avec vous ma passion de ce jeu “qui ignore le ‘je'” comme le disait joliment Pierre Albaladejo, ouvreur de grand style et commentateur avisé de l’ovalie.

Et puis, au fil du temps, si la passion est demeurée, une forme de lassitude a fini par prévaloir sur le plaisir d’écrire sur le rugby. La COVID et d’autres péripéties sur lesquelles je ne souhaite pas m’appesantir ont achevé de me convaincre de raccrocher le clavier comme d’autres les crampons.

La faute aussi à Twitter (nouvellement appelé “X”) et la forme sournoise d’addiction que cette application provoque chez ses utilisateurs, parmi lesquels je me compte. Elle a engendré un syndrome d’éviction déplorable mais bien réel sur mon énergie éditoriale Bref, tout concourait, à l’été 2021, pour mettre un point que je croyais final à mon aventure de plumitif sans carte de presse.

Pourtant, les mois passant, les compétitions domestiques et européennes, puis la coupe du monde, on ravivé la flamme. C’est pourquoi j’ai décidé de rouvrir ce blog, avec néanmoins quelques aménagements.

En premier lieu, il ne sera pas question d’alimenter ce site avec la même régularité qu’auparavant. Je m’interdis désormais de m’imposer la moindre obligation en la matière, car c’est de cela que la lassitude se nourrit. Ensuite, j’ai décidé d’ouvrir ce blog à quelques amis choisis, pour qu’ils puissent eux-aussi, laisser libre court à leur fantaisie. Et si la mauvaise foi devait pointer le bout de son nez, eh bien soit. Après tout, à la différence des substances absorbées par certains champions du monde, elle n’a jamais tué personne.

Je remercie par avance les lecteurs éventuels de ce site du temps qu’ils prendront à lire les articles, billets d’humeurs et autres digressions ovales. Et qu’ils veuillent bien me pardonner si mes coups de griffes égratignent leurs convictions ou si mes coups de cœur provoquent leur désapprobation.

L’essentiel est de nous retrouver autour d’une passion commune. Celle d’un sport doté d’un drôle de ballon, que par un beau mépris pour les règles du football tel qu’il fut joué à l’époque, William Webb Ellis décida de prendre sous le bras avant de courir vers l’en-but.

Antoine