Le retour des Sicambres

Alors que la tournée d’automne touche à sa fin, Fabien Galthié et Scott Robertson ont en commun d’être la cible de critiques très vives de la part des supporters des équipes dont ils ont la charge, critiques reprises par quelques journalistes qui semblent mettre de côté les vertus de leur profession pour caresser leurs lecteurs dans le sens du clic. Si les résultats – et les performances générales – du XV de France et des All Blacks sont éminemment questionnables, ceux qui encensaient les deux hommes à leur prise de fonctions ont, pour beaucoup, endossé la panoplie du fameux Sicambre Clovis apostrophé par Saint-Rémi au moment de son baptême : “Adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré !”. Pourtant, et comme toujours, la réalité des faits mérite plus de nuances.

Fabien Galthié et Scott Robertson ont pris les rênes de leur sélection auréolés d’une réputation de fins techniciens et, l’un comme l’autre, d’une capacité à rendre leurs équipes non seulement compétitives mais aussi chatoyantes offensivement. Et si le Français y est grandement parvenu – le XV de France partait il est vrai de loin, son homologue n’a fait la démonstration de son talent que par intermittence. Aujourd’hui, ils sont tous deux plombés par quelques défaites d’envergure, par leur portée (le quart-de-finale français face aux Springboks) ou leur ampleur (la déroute à domicile des Blacks face à ces mêmes Sud-Africains le 13 septembre dernier).

Cette tournée d’automne vient d’ajouter quelques gros cailloux dans les souliers des sélectionneurs : attendue comme une revanche de la Coupe du monde par les bateleurs médiatiques et ceux qui voulaient bien les croire, la rencontre des Français face hommes de Rassie Erasmus le 8 novembre s’est soldée par une défaite donnant du grain à moudre à la théorie du plafond de verre qui frapperait Fabien Galthié, infichu de trouver une solution aux problèmes posés par son adversaire sud-africain. Quant à Scott Robertson, il a, depuis le samedi 17 novembre, le redoutable privilège d’être le premier sélectionneur néo-zélandais battu à Twickenham depuis 2012.

Si l’on se focalise sur la seule tournée d’automne, il est frappant de constater l’intermittence des performances des deux équipes, capables d’actions lumineuses mais trop rares dans un océan de médiocrité à l’aune des standards attendus. Après deux années de mandat, Robertson n’est pas parvenu à atteindre la fluidité offensive observée lorsqu’il dirigeait la franchise des Crusaders, ni préserver l’efficacité défensive habituelle des hommes à la fougère argentée. Durant ces deux même années, Galthié donne l’impression d’avoir perdu le mojo de son premier cycle à la tête de la sélection tricolore, pis, la défense du XV de France, qui était son point fort jusqu’en 2023, a pris un sérieux coup dans l’aile, alors que l’attaque paraît n’avoir plus vraiment de lignes directrices.

Faut-il en conséquence couper la tête des deux coachs ? C’est ce que réclame la vox populi, avec une insistance de plus en plus pressante. Las, tous les Fouquier-Tinville d’ovalie semblent oublier que le temps est révolu où l’encadrement d’une sélection se résumait à un seul décideur tout puissant et feignent d’ignorer que l’homme providentiel n’existe pas. Demandez à Guy Novès, attendu comme le messie après la Coupe du monde 2015 et crucifié deux ans plus tard faute de résultats… S’il faut chercher des responsabilité, il est vain de se focaliser sur un seul mais regarder l’ensemble du staff : peut-être Shaun Edwards a-t-il fait son temps et qu’un regard neuf serait de nature à réinsuffler de l’efficacité défensive ? Peut-être Patrick Arlettaz affiche-t-il ses limites au plus haut niveau ? Ces questions mériteraient que les spécialistes et les médias essaient d’y répondre plutôt que de proférer des anathèmes sans grand intérêt.

Il faudrait également se poser la question des joueurs : alors que le XV de Nouvelle-Zélande paraît manquer cruellement d’internationaux de la trempe d’un Nonu ou d’un Retallick, les fans français ne cessent de s’indigner du fait que Fabien Galhié gâcherait “la plus belle génération de joueurs que la France ait connus”. Il faut malheureusement se rendre à l’évidence que cette génération n’est peut-être pas aussi fournie qu’on a voulu le croire. Force est aujourd’hui de constater que lorsque vous manque des hommes du talent d’Antoine Dupont, Yoram Moefana, François Cros ou Peato Mauvaka, vous ne pouvez pas prétendre conserver le même niveau de performances.

Évidemment, la comparaison entre les sélectionneurs néo-zélandais et français ne doit pas faire oublier les spécificités tricolores comme le manque criant de relève en piliers droits. Alors qu’Uini Atonio fêtera ses 36 ans en mars prochain, Tevita Tatafu enchaîne les blessures et les joueurs appelés en équipe nationale affichent leurs limites au niveau international. Ce n’est certainement pas la faute de Fabien Galthié si les clubs du Top14 préfèrent recruter à l’étranger à ce poste et former systématiquement les jeunes prometteurs en deuxième ou troisième ligne plutôt qu’en première.

Enfin, la responsabilité du Top14 a bon dos. On remarquera que le système néo-zélandais repose sur son équipe nationale et que cela ne garantit pas nécessairement la réussite de celle-ci, comme l’illustre sa situation actuelle. Le championnat français a de nombreux défaut, dont celui de sa durée et des choix de jeu des clubs qui restent plus axés sur le combat que sur le rythme, et ne sont pas toujours très créatifs offensivement. Mais sur ce plan comme sur celui des modalités de mise à disposition des internationaux, les progrès constatés lors du premier mandat de Fabien Galthié ne sauraient être passés par pertes et profits. Et comme il est illusoire d’espérer un changement profond, à l’image d’un salariat direct des internationaux irlandais par leur fédération, il vaut mieux se concentrer sur la façon d’améliorer l’existant.

Une nouvelle défaite face à l’Australie aurait-elle raison du sélectionneur ? La seule situation financière de la FFR conduit à en douter. Au-delà, elle ne serait qu’une réponse à la vindicte populaire et probablement pas aux problèmes actuels du XV de France. N’en déplaise aux Sicambres.

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