“It’s the world in union
The world as one
As we climb to reach our destiny
A new age has begun.”
Ces quelques vers, dont le pompeux le dispute à la pauvreté des rimes, sont issus de “World in union”, l’hymne officiel de la Coupe du monde de rugby. Une chanson à la gloire de World Rugby, peignant un tableau idyllique de la compétition et, au-delà, d’un sport qui rassemblerait pratiquants et passionnés autour d’un même amour désintéressé de la chose ovale.
Il faut pourtant une sacrée dose de naïveté pour boire les paroles de cette ritournelle sans éprouver un arrière-goût d’ironie voire de cynisme. Car les décisions prises récemment par l’instance internationale, qualifiées d’historiques par ses dirigeants, apparaissent, malgré les apparences, bien éloignées de la vision égalitariste défendue dans la chanson.
Les apparences ? Une coupe du monde élargie à 24 participants dès la prochaine édition. Sur le papier, cette mesure est une bonne nouvelle pour les “petites nations”, qui pourront participer davantage à la grande fête quadriennale du rugby, actuellement réservées à 20 équipes nationales, dont les deux bons tiers sont toujours les mêmes : les équipes du Rugby Championship, celles du Tournois des six nations, les îles du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga) et le Japon. Dorénavant, les nations émergentes pourront se mêler à celles plus aguerries du Tier 2, comme la Roumanie ou la Géorgie, pour décrocher les quelques billets supplémentaires offerts par World rugby.
Pour autant, cet élargissement risque bien d’amplifier l’impression fâcheuse ressentie tous les quatre ans, d’un fossé irrémédiable entre les meilleures nations et les autres, ravalées au rang de faire-valoir le temps des phases de poule.
Et ce n’est pas la création de la “Coupe des nations” qui favorisera la moindre évolution sur ce plan.
Cette nouvelle compétition, intercalée entre deux coupes du monde, ne se distingue finalement de celles-ci que sur deux points :
- elle se dispute en deux vagues d’un gros mois et demi, en lieu et place des tournées estivales et d’automne,
- elle met au prise les meilleures nations mondiales, auxquelles s’ajoutent les Fidji et le Japon. Les autres équipes nationales, essentiellement du Tier 2, constitueront une “deuxième division” séparée.
Bill Beaumont, le président de World rugby, a beau avoir déclaré qu’un système de relégations et de promotions entre les deux divisions serait mis en place (mais pas avant 2030…), on voit bien l’étanchéité de ce dispositif, les petites nations restant condamnées à jouer entre elles, sans réelles perspectives de rencontrer des équipes plus fortes, condition sine qua non à leur progrès. Avec cette nouvelle compétition, les fenêtres internationales seront en outre trop encombrées pour autoriser l’organisation de matchs supplémentaires.
On devine facilement ce qui a motivé ce choix. Les grandes fédérations, particulièrement celles de l’hémisphère sud, sont financièrement aux abois. La Coupe des nations est une garantie pour elles de faire rentrer de l’argent dans leur tiroir-caisse. Quant à World rugby, le temps du sacro-saint amateurisme est complètement révolu. Désormais, l’ovalie s’y analyse en termes de retour sur investissement ou de compte de résultat prévisionnel.
Et le développement du rugby dans tout cela ? Il est certainement abusif d’affirmer que World rugby ne s’en préoccupe pas. On se bornera à reprendre l’objectif que l’instance internationale se fixait au titre de son programme de “haute performance masculine 2016-2020” : avoir deux nations du Tier 2 qualifiées pour les quart-de-finales de la coupe du monde 2023…
Les représentants de ces nations n’ont pas manqué de réagir à la création de cette nouvelle compétition élitiste, et ont fustigé l’entre-soi des pays dominants. Ces critiques sont la marque non pas d’un “World in union”, mais bien de la désunion qui règne entre ceux qui désespèrent de voir le rugby devenir un sport universel et ceux, moins nombreux mais bien plus puissants, qui s’accommodent très bien de leur petit pré-carré.