Le beau jeu, une schizophrénie française

Pas sûr qu’en inventant le concept de “french flair” au début des années 60, le journaliste britannique Pat Marshall ait rendu service au rugby français. A moins, peut-être, que ce ne fût une de ces malices dont nos amis d’outre-Manche ont le secret, visant à instiller durablement le poison ultime de l’échec dans le sang bleu.

Car, voyez-vous, cette étiquette est encore aujourd’hui pire que le sparadrap du capitaine Haddock. C’est une boite entière qui colle au maillot d’Antoine Dupont et consorts.

Que n’a-t-on lu sur l’échec du XV de France en coupe du monde : préparation manquée, approche tactique ratée, choix discutables de certains sélectionnés… Il y a certainement du vrai dans tout cela. Mais on également pu lire un argument aussi imparable qu’attendu : ces Bleus ont proposé un jeu réducteur, trop loin de ce qu’on était en doit d’attendre d’eux. Le refrain habituel sur l’incapacité tricolore à proposer la fameuse balle-à-l-aile-la-vie-est-belle remixée à la sauce double croisée-passe-dans-le-dos-du-leurre-en-première-main.

Et qu’importe si nous avons eu droit à des fulgurances, et pas seulement face aux Italiens ou aux pauvres Namibien, qu’importe si, à l’inverse, contre les All Blacks ou les Springboks les combinaisons dans le petit périmètre ont porté le danger jusque dans l’en-but adverse. Trop de dépossession pour être honnête, le Fabien !

Le regretté Jacques Fouroux, dont la verve n’avait d’égal que le sens tactique, avait une fois rétorqué à une remarque sur le jeu de son équipe, quelque chose du style “jouer bien, c’est quand on gagne”. Cet adage, les Springboks l’ont fait leur depuis qu’ils ont trouvé plaisant ce jeu inventé par la fine fleur de l’aristocratie britannique pour imiter la guerre sans faire de mort (enfin pas systématiquement). Il ne se trouvera pas un observateur pour prétendre que les Sud-africains ont remporté leur quarts et leur demies en faisant chanter le cuir. A cet égard, on remarquera (un peu schématiquement, je le reconnais) que les velléités d’aller voir se qui se passe au-delà de la zone zéro des hommes en vert foncé se sont arrêtées à la fin du match perdu face aux verts clairs irlandais. Et que le pauvre Manie Libbock, digne représentant d’un rugby aéré, a été remisé au placard des intentions de grand large à la demi-heure de jeu de la rencontre face aux Anglais. Ces mêmes Anglais qui se contentèrent globalement d’une forme de non-jeu presque payant, ce qu’on peut comprendre quand on voit ce qu’on donné leurs tentatives d’en proposer lors des matchs précédents.

Entendons-nous bien. A l’heure où certains parlent des méfaits de la mêlée dans le rugby contemporain, il est bon de rappeler que le rugby est avant tout un sport de combat collectif, une dimension qui, contrairement à ce que les thuriféraires de Pat Marshall soutienne encore aujourd’hui, a toujours eu de l’importance dans le jeu français. Sans remonter à 1515 et à la “furia francese”, force est de constater que les Bleus doivent d’abord leur réputation à l’extrême rugosité de leurs avants. A tel point que celle-ci fut l’une des causes de leur éviction du Tournoi en 1931. Pour dire les choses autrement, le French flair est la jolie fleur qui ne s’épanouit qu’après le travail en férocité des avants tricolores.

A bien regarder les matchs des bleus, y compris les leçons infligées aux Anglais à Twickenham en début d’année ou eux Italiens lors de cette coupe du monde, on s’aperçoit que cet ADN est toujours bien là. Et si les hommes de Fabien Galthié ont perdu leur quart-de-finale, ce n’est certainement pas d’avoir insuffisamment joué selon le fantasme d’un French flair sorti de l’esprit malin d’un chroniqueur de sa Très gracieuse majesté.

On ne le répétera jamais assez : n’enfermons pas le XV de France dans ce stéréotype schizophrène. Peut-être, alors, pourrons-nous lucidement identifier ce qui l’empêche de conquérir le Graal d’un titre mondial qui s’offrira, samedi, à l’équipe la plus robuste bien plus sûrement qu’à la plus étincelante.

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